blog européen

dimanche 4 mai 2008

"Nazis raus"

Le 1er mai est aussi en Allemagne un jour chômé, donnant traditionnellement lieu à des manifestations de la part des syndicats et des partis de gauche dans tout le pays. A Tübingen cependant persiste une vieille tradition, basée sur l’institution des « Burschenschaft », sortes d’associations d’étudiants souvent politiquement très conservatrices. Depuis leur formation au début du dix-neuvième siècle dans un contexte d’invasions napoléoniennes, ces ligues étudiantes ont constitué le foyer d’un sentiment national, alors que l’Allemagne n’existait pas encore en tant que telle. Ce nationalisme, initialement plus culturel que politique et influencé par le courant romantique qui traversait l’Europe, a mué au fur et à mesure de la mise en place du Reich, éclatant en plusieurs tendances politiques, dont celle qui mènera par la suite à l’idéologie raciste et expansionniste de la dictature nazie. Les membres des Burschenschafts, qui se conçoivent comme les nobles tenants de la fierté nationale allemande, n’en appellent pas (seulement) à l’ancien sentiment romantique libéral du début du vingtième siècle, mais incluent tout aussi bien dans leur héritage une nostalgie de l’autocratie traditionaliste bismarckienne, voire d’un lointain et fantasmatique Moyen-âge germanique pour les plus attardés.

Il existe heureusement aujourd’hui toutes sortes de Burschenschafts qui ne sont pas aussi rétrogrades dans leur idéologie. Elles furent et sont aujourd’hui encore assez puissantes au sein des universités ; la grande majorité des hommes politiques allemands en sont d’ailleurs issus, continuant régulièrement à en alimenter les caisses. La nuit précédant le 1er mai est l’occasion d’un rituel au cours duquel les membres des Burschenschafts les plus conservatrices manifestent leur présence dans la ville de Tübingen : ils sortent habillés de vestes et de casquettes arborant les couleurs de leur ligue, portent des bougies et entonnent des chants nationalistes. Je n’ai pu assister que de loin à leur étrange petit manège, car les 250 « Burschis » d’extrême-droite et moi étions séparés par un cordon de police et une foule d’environ 2000 contre-manifestants échauffés, pour qui cette tradition représente une violente provocation. Tübingen, ville étudiante, est tout de même relativement parlant un bastion de gauche dans la région, et le soir du premier mai est également une occasion pour les militants de toutes tendances de gauche confondues de faire une démonstration de force réussie. Ainsi, arrivant sur la place du marché dans la vieille ville vers 11 heures du soir, lieu tranquille où je me verrais plutôt prendre un café ou un kebab que manifester, je découvre une ambiance de manif-festive comme j’ai pu en voir à l’époque du CPE en France. Ici circulent bouteilles de bières, drapeaux des jeunesses socialistes allemandes ; par là on joue les Rolling Stones sur une sono géante, entrecoupés d’un discours anti-nazi aux accents marxistes. On chante l’ « Internationale »… le tout sous le regard blasé de plus d’une centaine de policiers qui attendent derrière une grille, bardés comme si nous étions au G8. Tout le centre ville était d’ailleurs déjà bouclé depuis une heure, avec interdiction de circuler dans les rues par lesquelles étaient prévus de passer les manifestants des Burschenschafts. Ceux-ci sont attendus avec impatience : les étudiants d’une résidence qui se trouve sur leur parcours ont notamment prévu de les accueillir avec des seaux d’eau et autres charmantes délicatesses. Quand ceux-ci débarquent enfin sur la place, la musique est brutalement coupée et l’ambiance bon enfant vire tout d’un coup à une tension quasi-palpable. Je peux à peine apercevoir les Burschis, pour le moins les entendre tant la foule est compacte, avec des sifflements et des « Hau ab ! Hau ab » (« casse toi ! ») qui retentissent de tous les côtés. Le tout me semble très institutionnalisé : la police était partout, et il n’y avait absolument aucun risque (ni volonté de part et d’autre) de débordement. Mais j’ai constaté avec plaisir l’ambleur de la contre-manifestation; dans la foule, hurlant et vociférant, on pouvait voir pratiquement autant d’étudiants en dreds de la faculté de philo que de vieilles dames à l’air respectable.

Le rituel du soir du premier Mai n’est d’ailleurs pas seulement une nuisance pour les étudiants et les partis de gauche, pour qui la présence de ces jeunes nationalistes est complètement inadmissible : la ville de Tübingen, qui doit trouver un moyen de faire respecter le droit de rassemblement et de manifestation de tout un chacun sans que violence s’en suive aimerait également s’en passer. D’après le « Schwäbisches Tagblatt », la feuille de chou locale, près de cinq cent policiers ont été réquisitionnés pour contenir les manifestants, faisant monter les coûts de cette nuit à plus de 100 000 euros : voilà de l’argent qui aurait sans doute pu trouver un meilleur usage.

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