blog européen

jeudi 3 mai 2007

La « colère saine » contre la « rupture tranquille »

Hier soir, minuit : le Champ de Mars apparaît bien clairsemé. En passant devant les plates-bandes, j’aperçois un type aux intentions douteuses proposer à des touristes italiennes dans un anglais plus qu’approximatif d’être « actor for a cinema » … Passons. Dans les bars, dans les foyers, dans les magasins, 25 millions de Français avaient les yeux rivés sur le petit écran, goûtant avec délice une confrontation digne des enjeux de cette campagne exceptionnelle.
Moi qui ressens toujours un stress plus ou moins important pour le moindre exposé, allant du léger pincement au ventre jusqu’aux sueurs froides, je n’arrive pas à imaginer quel devait être l’état des deux candidats à 20h 59 précises hier soir. Ce débat est une prestation extrêmement difficile, qui requiert une connaissance approfondie de tous les sujets et une maîtrise de soi incroyable. Beaucoup de respect, donc, pour les deux poulains…


Au vu de la réaction médiatique aujourd’hui, c’est le ton et la vigueur de l’échange qui ont le plus surpris. On s’attendait sans doute, avec mépris ou avec crainte, à la Ségolène Royal habituelle : à la fois molle et crispée, monocorde et si peu convaincante. En revanche, la femme politique qui est apparue aux yeux des Français hier soir était, selon le mot de France Culture, « pugnace », capable de mettre en avant sa « conception de la politique » avec un savant mélange de technicité et de pathos, n’hésitant pas à interrompre, contredire voire houspiller son adversaire. Où était donc cachée cette forte personnalité depuis six mois ? Sarkozy, lui, alors que l’ensemble de la gauche rêvait qu’il sorte de ses gonds, devait prendre le parti de la sérénité pour atténuer son image de « political gunslinger » (dégaineur politique), selon le Washington Post. J’avoue : j’espérais envers et contre tout que sa femme le quitte cinq minute avant le début du débat, qu’il s’énerve, et qu’il traite son adversaire de « sale garce » ou autre… Evidemment, un tel miracle n’a pas eu lieu. De son côté, Sarkozy est parvenu à préserver une aura de professionnalisme, de sérieux et de clarté, ce qui n’a pas empêché le ton de monter et la brusquerie de réapparaître. Lui qui évoluait autour de thèmes qui lui sont plutôt favorables n’a pas hésité à pousser Royal jusque dans ses derniers retranchements, la forçant à défendre des positions difficiles (trente cinq heures, Turquie…), qui sont également les plus sujettes à débat au sein même du PS.
Ce débat a également au moins eu l’avantage de s’étendre sur les modalités du programme économique socialiste, un point qui méritait clarification, car étant sujet à de multiples caricatures et stigmatisations de toutes parts.
Sinon, il y a eu LE moment que tous les médias ont retenu du débat, « la colère saine » (rajouter un « t » est tentant) de Ségolène Royal. Pour la première fois, j’ai compris comment une femme pouvait effectivement faire la politique « autrement » (qu’elle soit sincère ou non d’ailleurs). D’habitude, c’est Sarkozy qui joue la carte de l’indignation bien-pensante, citant, voire emblématisant des victimes d’aggressions à la Courneuve, des femmes brûlées dans des bus à Clichy, la veuve et l’orphelin (…), concluant : « ces actes barbares sont inadmissibles, c’est pourquoi je propose… ». Mais les enfants handicapés, c’est le comble. Hier soir, sur un point au moins, Royal a réussi à battre Sarkozy avec ses propres armes, tout en jouant magnifiquement sur une image de mère protectrice redresseuse de torts. Les sarkozistes auront beau l’accuser d’avoir perdu son sang froid, je suis persuadée que cet épisode va jouer en sa faveur.
Mais pour nuancer le tout, rappelons qu’un débat n’a jamais déterminé une élection ; quel qu’en soit la portée dans les sondages, les sociologues constatent en général que l’effet tend à s’estomper dans les deux à trois jours qui suivent. Il faudra que Royal soit encore très présente dans les médias dans les jours qui suivent pour maintenir la dynamique lancée.
Accrochons-nous, cela sera bientôt fini…

1 commentaire:

Elsa a dit…

La victoire se fêtera avec du cidre !