blog européen

lundi 16 avril 2007

Elfriede Jelinek

Afin de faire face à des accusations de légèreté, voire de superficialité, j’aborderai un sujet plus intellectuel que la manière dont il faut coiffer les cheveux bouclés. J’aimerais évoquer rapidement pour ceux qui ne la connaissent pas une auteur(e) autrichienne (face au feu de la controverse orthographique concernant la féminisation des mots, je souhaite rester neutre), découverte par votre humble rédactrice il y a quelque peu en cours d’allemand.
Elfriede Jelinek s’est rapidement fait connaître, détester et respecter par des textes provocants, extrêmement dérangeants. Elle est notamment l’auteur(e) de La Pianiste, livre qui a par la suite été repris sous forme de film. Le livre que je lis d’elle en ce moment, « Les exclus » est le portrait d’une bande de jeunes dans l’Autriche d’après-guerre. Ces derniers, issus de milieux modestes, ne sont pas seulement exclus du soi-disant « miracle économique » que connaît le pays ; adolescents mal insérés dans la nouvelle culture jeune qui éclot alors au tournant des années soixante, ils se targuent de prétentions philosophiques, artistiques et littéraires, affectionnant et travestissant à la fois Sartre, Camus, Sade et George Bataille. Pour affirmer leur supériorité morale et leur dégoût de la société bourgeoise, ils se tournent vers la violence et le crime de bas étage : mais ce mépris et cette volonté de destruction sont davantage révélateurs d’un manque et d’une profonde aspiration à la conformité avec la culture dominante, faite de jolies filles, de disques d’Elvis Presley et de dimanches au parc en famille. Contrairement à la quatrième page de couverture de l’édition que j’ai achetée, je ne vous dévoilerait pas illico la fin du livre, mais sachez qu’il se clôt sur un crime terrible, qui dépasse dans sa violence la mesure de la médiocrité des personnages.

Dans chacun de ses livres sculptés au vitriol, Jelinek s’attaque à des mythes de la société autrichienne, en particulier l’idylle selon laquelle l’Autriche, lavée de toute culpabilité de sympathie avec le nazisme, n’aurait pas connu la barbarie: pour son lecteur candide, elle fait ressortir de derrière les façades tranquilles les pires horreurs : cannibalisme, inceste et viols sortent de l’ombre, les cadavres empilés remontent des fosses communes … (cf son dernier roman Enfants des morts). Elle donne également dans ses livres une image pour les moins très glauque de la condition des femmes, soumises au diktat d’une libido masculine égoïste et sadique (pour la dimension féministe de son oeuvre, voir sa nouvelle « Lust » ou le roman Les Amantes).

Son engagement politique et littéraire est la raison pour laquelle Elfriede Jelinek est souvent la cible d’attaques de la part de l’extrême droite dans son pays d’origine; en février 2000, pour protester contre l’arrivée de l’extrême droite au gouvernement, elle interdit la représentations de ses pièces dans toute l’Autriche. Récemment, au nom de la liberté d’expression, elle a soutenu Peter Handke, l’écrivain pro-serbe dont la pièce a été interdite à la Comédie Française à Paris.

Elfriede Jelinek est également un personnage étrange, qui cultive une image d’excentrique, voire de névrosée. Elle a connu une enfance difficile, sous l’emprise d’une mère oppressante et d’un père absent. Il paraît qu’il lui est arrivé de rester un an sans sortir de chez elle…

Quoi qu’il en soit, je trouve que « Les Exclus » est un livre remarquable, écrit dans un style dynamique, nerveux et acerbe qui se défait de nombreuses conventions littéraires. Je vous conseille donc Elfriede Jelinek : même si le portrait que je vous en fait ne vous charme guère, lisez là par simple curiosité, comme je l’ai fait d’abord. Ah oui, et accessoirement, elle a également reçu le prix Nobel de littérature en 2004…


Lien vers un de ses textes, un discours prononcé devant une académie allemande

http://www.monde-diplomatique.fr/2004/12/JELINEK/11741

Il faudra en excuser le côté parfois sibyllin, après tout, c’est publié dans Le Monde diplomatique!

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Mmh. J'ai pu en lire une dizaine de pages chez toi. Intéressant. Tu me le passeras quand tu l'auras fini ?

Anonyme a dit…

C'est marrant (enfin si on veut...) mais depuis que j'ai fait mon cours sur la folie où un intervenant avait soutenu que tous les artistes, grands hommes et femmes avait connu un traumatisme dans l'enfance et des problèmes psyhciatriques je retrouve ça partout. Je viens de lire une mini psychanalyse de Bayrou, Royal, Sarkozy sur courrier international : http://www.courrierinternational.com/article.asp?obj_id=72798

et maintenant cette artiste... l'idée c'est que pour créer, pour avoir une vision il faudrait avoir subit un traumatisme que l'on aurait besoin d'exterioriser sans cesse sous diverses formes pour s'en guérir. si l'on y parvient soit on trouve un autre thème traumatique soit la créativité se tarrit. sinon on peut être reconnu comme un artiste génial (mais torturé) toute sa vie...

chloé a dit…

Je cite une partie de l'article de Lisa sur Bayrou:
"Ancien enseignant, n'hésitant pas à converser en grec ancien avec la presse hellénique, il se rapproche de l'Olympe avec la conviction de remplir une mission divine : des rumeurs persistantes disent qu'il a confié un jour être certain de remporter la présidentielle grâce à une prédiction de la Vierge Marie."
C'est époustouflant: on parle encore le grec ancien en Grèce?

Anonyme a dit…

Nan, on parle le grec moderne, qui a une prononciation différente (en grec ancien, on a choisi une prononciation particulière par convetion) et une grammaire simplifiée.